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Samedi 13 janvier : Voisins-le-Bretonneux - Istanbul
C'est reparti. On commence en trichant, grâce au vol 4159 de la Lufthansa, qui nous dépose, Gianni et moi, à Istanbul, en milieu d'après midi, après une pause dans un Munich enneigé. Premier objectif : trouver l'auberge de jeunesse qui nous permettra de profiter de quelques jours de tourisme à Istanbul avant d'affronter l'hiver turc. Sur la route, je profite de la pluie et de la nuit tombante pour crever à l'arrière. Bon choix, surtout que les sacoches sont encore en désordre et que le matériel de réparation est réparti dans plusieurs d'entre elles.

Du Dimanche 14 janvier au Lundi 15 janvier : Istanbul
Visites et consulat. L'administration iranienne, plutôt performante, nous délivre notre visa en 2 heures. Les démarches avaient été commencées à Paris. Sinon on marche beaucoup dans une Istanbul bruyante, on découvre le Bosphore, la Corne d'Or, Topkapi, la mosquée bleue, le Grand Bazar. Mais le vélo nous démange et on décide de partir sitôt le visa accordé.

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Mardi 16 janvier : Istanbul - Pendik
Réveil à 5h30 à cause d'un séisme de degré 4. Cinq secondes de tremblement dans la chambre. Réveil suivant à 6h15, comme tous les matins, par le muezzin qui chante. On charge ensuite les montures, et on roule jusqu'au bateau qui nous fait traverser le Bosphore, les deux ponts étant réservés aux véhicules motorisés. Nos premiers tours de roue asiatiques nous plaisent, la piste cyclable nous sécurise, et je recrève. A l'arrière. Je rechange de chambre à air, et vire le clou et le morceau de verre du pneu. Ça devrait aller mieux. 50 bornes ce soir, il commence à faire nuit et on est paumé avant Izmit sur une nationale très passante. Alors on monte la tente vaguement planquée, dans une pépinière de jeunes arbres. Coin pourri. Surtout que deux arceaux de la tente se cassent. Nous avions de quoi n'en réparer qu'un. Donc on dort dans une tente bancale.

Mercredi 17 janvier : Pendik - Gebze
Les galères continuent. Gianni se tape une indigestion plus un coup de froid et je me réveille avec un torticolis que je vais garder toute la journée. Heureusement on retrouve la route d'Izmit, mais pour cela il nous a fallu prendre quelques kilomètres d'autoroute. On s'arrête dans la matinée dans un hôtel à Gebze, Gianni étant trop fatigué pour poursuivre. 24 heures de repos devraient le remettre sur pattes. Le voisin de Mahmut, le responsable de l'hôtel, dispose d'une connexion Internet. Je lis donc mes premiers mails.

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Jeudi 18 janvier : Gebze - Dehgirmendere
On ne change pas un rituel qui gagne : l'emmerde du matin. Chambre à air encore percée. C'est décidé, je change de pneu. Sinon torticolis guéri et Gianni aussi. On contourne la mer de Marmara dans une cohorte incessante de camions pollueurs. Pour compenser des vagues de fumée et de gouttelettes de boue dont ils nous aspergent, les conducteurs se montrent très chaleureux. Klaxons d'encouragement, grands signes par la fenêtre, tout y passe. A la nuit tombante, on se fait arrêter par des gardes militaires de la marine turque : interdiction de longer la caserne de nuit à vélo sans escorte. On attend donc que la Jeep se charge de quatre troufions et nous suive sur 3 km. Pour le soir on nous prête un cabanon de jardin avec quelques lits.

Vendredi 19 janvier : Dehgirmendere - Iznic Golü
Pendant le chargement des bagages, Ahmet vient nous voir et nous proposer un thé chez lui. Il nous raconte le tremblement de terre qui a secoué la région en 1999. Il a perdu sa soeur pendant le drame. Sa maison est descendue de 8 mètres dans le sol, et son commerce a été détruit. Après un an de galère dans une baraque en bois, il a enfin pu acheter un appartement. Il nous montre avec fierté les photos de son voyage à vélo en Turquie, il y a...40 ans. Puis nous les quittons, lui et la côte de la Marmara, pour enfin plonger dans la Turquie profonde, celle des montagnes et des paysages saisissants. A chacune de nos haltes, une dizaine de personnes s'empressent autour de nos vélos. Pour l'instant on trouve ça amusant. On s'installe au bord du lac d'Iznic, entourés d'oliviers.

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Samedi 20 janvier : Iznic Golü - Yenisehir
Lever 8h. Les paysages des montagnes continuent. Magnifiques. Et heureusement, vu qu'on va y avoir droit jusqu'à la mer Méditerranée. Comme hier, ça commence par une rude montée, offrant de splendides panoramas sur le lac et les villages qui les bordent. Nous bénéficions de nos premiers flocons, encore timides. En fin de journée, Erol nous offre une pause au chaud dans son atelier. A peine nous repartons qu'il fait déjà nuit. Le refuge des gardes forestiers, non loin, sent bon les grillades. Aucun problème pour planter la tente à côté, et aucun non plus pour partager leur repas. Jolie soirée turque.

Dimanche 21 janvier : Yenisehir - Inegöl
Suite de la route de montagne. Rarement plat. Chacun de nos arrêts nous permet de discuter avec des Turcs qui viennent à notre rencontre. Tous nous proposent le(ur) meilleur itinéraire pour rejoindre Antalya. Les villages, assez espacés, sont moyennement approvisionnés. Gâteaux secs et boissons à profusion, mais dur de trouver des légumes, des conserves ou des laitages. Les difficultés que l'on éprouve dans les reliefs et les rigueurs hivernales de l'est turc nous font changer de plan pour l'avenir, tant au niveau du trajet que des moyens de transport. On en reparlera au fur et à mesure. On dort encore en sauvage, près d'un cours d'eau.

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Lundi 22 janvier : Inegöl - Inönu
Nuit fraîche. Une voiture de police vient nous voir pendant le chargement des vélos. Juste pour savoir d'où on vient, où on va, etc. La route monte, la température baisse. Un véhicule sur deux klaxonne ou fait un signe. Trois jeunes en voiture s'arrêtent à mon niveau pour m'offrir des clémentines. On profite enfin du ciel bleu. Mais pour le soir, toujours le même problème : pas de village, pas de maison. Et une fois de plus on se retrouve isolés dans la nature.

Mardi 23 janvier : Inönu - Kutahya
Nuit terrible. Vélos givrés, tente intérieure itou. 2 cm de gel à la surface du bassin de la fontaine à côté de laquelle on a dormi. -% degrés ! Vivement la Méditerranée. On se promet un hôtel chaud pour le soir. Ça motive, on arrive à Kutahya vers 15h. La ville est située à 950m d'altitude ; on atteint presque notre record pour la Turquie.

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Mercredi 24 janvier : Kutahya - Anitkaya
Petit dej à l'hôtel, à base d'olives, pain, oeuf, thé, re-thé, beurre et miel. De quoi nous doper pour nous rapprocher d'Afyon. La route rectiligne sur un haut plateau prend de belles couleurs grâce au soleil. La zone est désertique, deux villages vus dans la journée, pas un commerce. Le décor aride s'ajoute aux nombreux autres dont on profite depuis Istanbul. Le second village nous abrite pour la nuit. Pas de tente à planter, juste les duvets à sortir, dans la salle de réunion quotidienne des anciens. Le repas offert nous enchante : copieux et typique, comme le cadre. La pièce tapissée au sol et aux murs revêt deux estrades garnies de coussins. On assiste à leurs débats, partage leurs thés, et raconte notre projet.

Jeudi 25 janvier : Anitkaya - Sandikli
Après une confortable nuit, un petit déjeuner fromager et un ravitaillement "imposé" par nos hôtes, la route semble facile. On passe Afyon, et nous continuons d'admirer les splendeurs de cette Turquie peu habitée. Pour le soir, on utilise le filon découvert hier : un village, une salle de réunion. Après le dernier appel du muezzin, vers 19h, une dizaine de personnes se retrouvent dans ce lieu, au centre duquel trône le poêle. Puis vient le rituel du thé. Une cuillerée de sucre, un demi-verre de thé infusé, un demi-verre d'eau bouillie. Puis ça papote. Vers 22h chacun songe à aller se coucher ; nous, on reste, on installe les duvets sur les estrades.

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Vendredi 26 janvier : Sandikli - Burdur
Petit dej turc à nouveau. Soleil radieux qui nous accompagne toute la route. Je mets la casquette, Gianni enlève sa cagoule. Mon drapeau français et repéré par Selahattin. Il a travaillé en France, dans le 02 puis dans le 45, et fait la navette entre Afyon et Sandikli pour une compagnie de bus. On est invité au poste central des routiers de la ville. Belle ambiance, avec pour une fois un traducteur. En fin d'après-midi, Gianni ressent quelques douleurs à la cheville ; le mieux serait de la reposer quelques jours, mais point d'hôtel à l'horizon... Alors on fait halte dans un bar en demandant ou trouver refuge. Justement, nous apprend-on, un camion va passer pour la grande ville suivante. Burdur, 50 km plus loin sur notre trajet. On y case les vélos, et notre étape de samedi se retrouve avalée en une heure. Hôtel correct et pas cher.

Samedi 27 janvier : Burdur
Repos de la cheville de Gianni, bricolage des vélos. La ville ne compte aucun intérêt, à part ses Internet cafés. Tous pas chers (6 francs de l'heure), mais pas tous top.

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Dimanche 28 janvier : Burdur
La journée commence comme hier ; elle prend une allure toute différente l'après-midi, après que je rencontre Murad. Il m'indique un cybercafé. Puis nous invite à boire quelques thés au bar. Ses potes passent. Dont des français d'origine turque qui viennent passer un mois de service militaire ici, et en le payant (!) 35000 Frs. S'ils ne payent pas, ils font 18 mois. Après le service, ils pourront obtenir la nationalité française. On termine la journée vers 4h00 du mat, devant quelques Efes Pilsen. Les relations turco-françaises ne sont pas ternies !

Lundi 29 janvier : Burdur - Dag
Debout 7h45. Cheville réparée. Plein sud. Mis à part une ébouriffante descente de 9 km, et la suite de la panoplie des paysages, nous ne faisons que rouler. 71 km, assez classique. Camping sauvage et température vivable reviennent.

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Mardi 30 janvier : Dag - Serik
Nos derniers kilomètres avant la mer tant attendue. Au dernier col, le directeur d'une carrière nous offre un désormais classique thé. Ils sont toujours acceptés avec un plaisir sincère. Nous n'oublierons pas l'arrivée sur Antalya. La route domine la ville et on découvre à la fois toute la cité et la mer, perchés avec quelques dizaines d'aplomb. Sinon, on ne conserve pas une image merveilleuse de cette cité touristique et peu adaptée aux cyclistes. Les klaxons "Bon courage" cèdent la place aux klaxons "Casse-toi". On obéit, après avoir réservé nos billets d'avion pour Téhéran ; puis on emprunte la route côtière. On s'arrête chez Kazim ; il parle anglais et décide de nous héberger plutôt que de nous faire planter la tente. Je perds 2-1 aux échecs contre son père, on dîne, et on tombe sur le "Qui veut gagner des millions" local. Sauf qu'ici, vu la valeur de la monnaie, c'est "Qui veut gagner 500 milliards".

Mercredi 31 janvier : Serik - Colacli
On reste pour le petit déjeuner avec notre famille d'accueil. Encore une partie d'échec avant de prendre la route, que l'on croyait côtière. Souci : elle longe la mer, mais à 10 km. Donc on ne voit pas la Méditerranée. On nous parle d'une vraie route côtière, on tente de la trouver. Mais ce ne sont que des impasses. Il nous faut attendre quelques jours avant que la route ne borde réellement le rivage. En attendant, le temps se couvre. Personne n'accepte qu'on plante la tente sur son terrain ("Avec la pluie, vous savez, ici, il y a vite 20 cm d'eau..."). Donc on se pose dans un champ un peu planqué. Eclairs et tonnerre se succèdent sur un rythme de plus en plus intense. On va tester l'imperméabilité de la tente.

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Se balader en Turquie pendant cette période troublée dans les relations franco-turques...

On pourrait croire en effet que nous avons mal choisi notre moment pour traverser le pays. Pourtant, en pleine période de crise diplomatique entre les deux pays, jamais le malaise ne s'est installé avec nos rencontres. Le parlement français a récemment officialisé (légalisé ?) le terme de génocide pour qualifier les actes turcs envers les Arméniens en 1915. Les télés locales retransmettent les images des tensions en une pendant plusieurs jours (drapeau français brûlé, contrats rompus, ...). Je roule moi-même avec un drapeau français fixé à l'arrière du vélo, et à chaque personne nous demandant d'où l'on vient, on répond clairement "Fransa !". Le sujet revient donc assez souvent. Dans les petits villages, le problème est source de débat entre les gens lorsqu'ils nous voient arriver, mais aucune critique ne nous est formulée. A Burdur, on tombe sur un passionné du sujet, Benjamin, qui nous parle longuement de sa version. C'est à dire la version turque. Il fustige le parlement français d'être à l'origine de la rupture des excellentes relations économiques qu'entretiennent les deux pays. La France, parait-il, demeurait le seul pays dont les bateaux ne payaient pas de taxes pour traverser le Bosphore. Mais inutile de se détester pour des décisions qu'il juge essentiellement politiques. On se paye des bières. Un marchand d'orange, apprenant que je suis français, pointe son pouce vers le bas en me disant "Fransa, bad !". Je lui renvoie un sourire en disant que non. Il confirme qu'en effet, "Fransa, bad, but tourists, good !". La situation la plus cocasse a eu lieu chez Kazim. Pendant les infos, les images du drapeau tricolore brûlé gênait son père, qui craignait que l'on se sente insulté, alors qu'ils multipliaient les efforts pour que nous nous croyions chez nous. Alors il zappait les news dès qu'un journaliste parlait du problème. Dans le central de bus a Sandikli, on nous annonce que le Français et les Turcs ne s'aiment pas. Mais que nous, "les citoyens", ça ne nous concerne pas. Thés.

Le réel dommage de cette histoire, c'est surtout que les millions de Turcs se sentent fortement blessés par ce qu'ils considèrent comme une insulte terrible. Mais leur besoin et désir d'accueil a toujours dominé. Et finalement, ça a été source de discussion, jamais de rejet.

Jeudi 1 février : Colacli - Antalya
Effectivement, l'orage ne cesse pas de la nuit. Je vérifie régulièrement l'état du terrain, craignant que l'eau ne monte. Le champ heureusement très perméable absorbe presque toute l'eau et on se lève quasiment au sec. Puis vient la décision de Gianni, qui depuis quelques jours peine contre les températures et l'inconfort. Nos rythmes sont trop différents, il préfère rentrer que perturber tout le reste du trajet. On opte donc pour un retour sur Antalya, en bus. Les vélos casés sans ménagement dans la soute, on revient sur nos pas sur une quarantaine de kilomètres. Puis on réserve deux allers simples pour Paris, en annulant les vols Ankara-Téhéran.

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Vendredi 2 février : Antalya - Voisins-le-Bretonneux
Après une quinzaine d'heures d'attente à l'aéroport, décollage pour Istanbul. Les nuages nous empêche de distinguer sous un autre angle les reliefs traversés. On enchaîne sur Istanbul-Paris. A peine rentré, je réserve un Paris-Téhéran. Je continue donc seul pour un mois d'Iran.

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